L’année 2022 aura été une année marquée par les crises : crise énergétique, crise ukrainienne, …. une longue série qui suit les épisodes COVID qui ont déjà durement touchés le monde de la peche professionnelle.
Alors que la planète brûle sous l’effet du réchauffement climatique et que la mer Méditerranée frôle les 33 degrés, ce sont tous nos écosystèmes lagunaires, côtiers mais aussi hauturiers qui sont impactés par les effets de ces bouleversements océanographiques.
En avant-poste, véritables observateurs aguerris de notre fragile Mare Nostrum, les marins pêcheurs ont été témoins de ces perturbations. Des 2009, ils ont observé avec étonnement puis stupéfaction les sardines puis les anchois rétrécir à vue d’œil. Certains ne se sont pas gênés pour dire, « c’est votre faute ! » … mais il n’aura fallu que quelques années pour que les scientifiques réussissent à démontrer que les petits poissons pélagiques ne grossissaient plus en raison de déséquilibres trophiques induits par le réchauffement des eaux. Ainsi, les sardines de 2 ou 3 ans ne dépassent plus celles de 1 an. Mauvais remake de « chéri j’ai rétréci les gosses ».
Depuis plus de 10 ans déjà, les pêcheurs informent les scientifiques des espèces exotiques et invasives de plus en plus présentes sur nos côtes : barracudas, marlins, dorades coryphènes, rencontrés de plus en plus couramment sans oublier poissons-coffres et crabes bleus qui attaquent nos espèces indigènes. Bientôt il s’agira des poissons-lions et poissons-lapins qui ne sont plus qu’à quelques centaines de milles marins du golfe du Lion.
Parallèlement, la pression anthropique de plus en plus importante pousse chaque année des milliers de touristes à occuper les derniers espaces vierges de nos lagunes et notre littoral, sans oublier les centaines de paquebots dont les déchets, les eaux usées et fumées noires obscurcissent la Grande Bleue.
A contrario, en 20 ans, la flottille de pêche méditerranéenne n’a fait que fondre comme neige au soleil. En cause, une réglementation qui réduit les espaces de pêche sans se préoccuper des marins, des règles destinées à restaurer la biodiversité mais ne règlent pas les problèmes de surfréquentation de la bande côtière, des directives qui favorise l’économie bleue mais ne se préoccupe pas de notre souveraineté alimentaire, des projets industriels destinés à implanter des usines flottantes en plein cœur d’espaces hauturiers sans se préoccuper des navires qui tentent d’économiser leur carburant car incapable de moderniser (il faut dire décarboner aujourd’hui) leur moteur d’un autre temps.
Plus de 37 ans ! c’est l’âge moyen de nos chalutiers qui tentent de résister tant bien que mal aux déferlantes qui s’écrasent sur le pont. Qui aurait le courage de monter dans un avion de prêt de 40 ans chaque matin pour traverser l’Atlantique ? J’entends d’ici les mauvaises langues évoquer telle ou telle sornette sur un métier qu’ils ne connaissent pas. Pas l’un d’entre eux ne tiendrait plus d’une semaine à faire ce métier de passion mais aô combien dangereux. Et pour ceux qui auront le courage d’aller un jour en mer, ils comprendront cette citation « y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer ».
Aujourd’hui, j’ai mal à ma pêche, après plus de 20 ans et 5 plans destinés à réduire inexorablement la flottille, c’est un nouveau chalutier qui s’est couché sur le flanc cette semaine, … agonisant, … blessé, … mourant sans que personne ne soit à ses côtés pour raconter son histoire, sa capacité à tenir le cap face aux tempêtes, ou la fierté qui animait son patron et son équipage à traquer le poisson bleu aux premières lueur du jour…
Aujourd’hui, j’ai mal à ma pêche, car je crains que dans quelques années nous ne saurons plus :
- pêcher et approvisionner les marchés en produits frais de qualité,
- exercer ces métiers pratiqués avec passion, qui sont des éléments incontournables de l’héritage culturel de la Méditerranée,
- consommer nos produits locaux et les faire connaître pour faire vivre notre patrimoine culinaire méditerranéen.
Je reste persuadé qu’il existe d’autres futurs possibles !